Allen GINSBERG
(..) La poésie d’Allen Ginsberg doit tout à l’expérience, au vécu. Après les efforts de Jean-Jacques Lebel, Mary Beach et moi avons la chance et le privilège de traduire cette poésie, et de faire connaître Allen en France. Après avoir travaillé sur les grands livres de William S Burroughs, de Kaufman, de Sanders, de Ferlinghetti et de Carl Solomon, nous avons pris la responsabilité de traduire KADDISH, REALITY SANDWICHES, PLANETS NEWS & THE YAGE LETTERS. Allen fut patient, généreux, impossible, toujours prêts à nous donner les clefs-fragments d’un rêve.
Il ne faut pas seulement demander : avez-vous lu Ginsberg ? Mais, avez-vous reçu le choc Ginsberg, la brûlure de sa voix, avez-vous été déchiré et béni par Kaddish ? (Claude Roy, Obs, 68).
Ginsberg a libéré le pur langage américain en poussant conflits et situations à l’extrême, pour nous prouver que derrière la réalité il n’y avait qu’un choix. Ginsberg a rêvé de rendre l’Amérique à la vie, et que la poésie soit partout vécue.
On a tout dit sur Allen Ginsberg et HOWL. Il a été la cible des vieux ringards, de la « sale Gestapo illettrée », et d’une pléiade de poètes mineurs, hargneux, jaloux, de la plus grotesque inactualité. Pour entendre Ginsberg il faut voyager à travers les avalanches de l’histoire, de la biographie, et interpréter tout ceci en cherchant dans les carnets de notes, les interviews, les traces optiques et verbales. Pour connaître les créations de l’esprit de Ginsberg toutes les lectures s’imposent. Il n’est jamais neutre. Sa musique verbale nous enchante, WALES VISITATION, la nature de ses images-chocs nous séduit. LSD 25, sa « politique » parfois se chante et exprime, WICHITA VORTEX SUTRA. Et c’est là qu’on reconnaît un grand poète. Les mots sont comme les choses. Rien n’est détruit. Tout est déconstruit. Le poète, l’Anartiste, piégé entre les mâchoires vides du temps, est toujours menacé par la Loi et l’Ordre. Il assiste à la mort des idées. Tous les signes se transforment alors en idées-images.
Ginsberg innove en restant fidèle à une tradition. Icônes électroniques dans la Voie Lactée « sandwiches de réalité » dans la nuit américaine. Le Réel alors se disperse, s’affiche, se dévergonde. Le réel aujourd’hui dévoyé est au bout du rouleau. Le discours des Pouvoirs qui tuent, d’est en ouest, nous écrase. Hypnose. Terreur. Contrôle. Pages roses et noires, silencieuses, giboulées de hasard, poésie, hygiène de la vision. Ginsberg ne subit plus l’information, il la fait.
LA POESIE SE PRESENTE COMME CA : sans commentaire !
Ginsberg exprime en marge. Par exemple, juste avant son départ pour Naropa, il a été le meilleur « critique »…une carte postale : « I saw Miles & he showed me yr painting & mandalas & the colorsticks, latter reminded me of Australian Aborigeni messages & mapsticks »… Allen Ginsberg est un poète spécifiquement américain. Les notebooks sont importants pour Ginsberg. On y trouve de tout, et souvent d’admirables poèmes en prose. Haikai occidentaux, par exemple : SAD DUST GLORIES & MOSTLY SITTING HAIKU…Ginsberg est un poète de la jouissance et de la vérité. Un poète, qui, malgré ses « engagements » ne se laisse pas gouverner par la politique. C’est l’Utopie dans les marges. (..)
Je comprends maintenant que son art poétique est, selon la belle phrase d’Alain Jouffroy : « VOILA L’HISTOIRE QUI FAIT CLAQUER LES PORTES ».
La poésie de Ginsberg est toujours hors-champ, en marge, dehors. Notre monde, musée d’esclaves et d’otages, est devenu le lieu de terreur que l’on sait. C’est la fin des utopies. Et Ginsberg prend toute sa stature au milieu de ce gâchis indicible. Il ne faut pas négliger ses journaux, prose poétique extrêmement complexe. Aujourd’hui je déchiffre ce qu’il a griffonné sur une copie de FALL OF AMERICA : « These mutterings of despair an danger from the 60’s ». (..)
Les « expressions » de la colère de Ginsberg collent à la roue de ses expressions de tendresse. Allen le mal-aimé. Allen bouddhiste pour conjurer ces Auschwitz intellectuels. Allen et ses myriades de « pensées » religieuses et mystiques. Allen déclarant GUERRE A LA GUERRE. Allen toujours révolté et choqué par l’avenir quotidien et la tyrannie sociale, par le bureau des Idées Capitalistes et Communistes, par les criminels Nova, par la mort administrée et télévisée. Allen hanté par le jukebox thermonucléaire et par la guerre froide.
Réalité, fiction, clichés hyperréalistes, tout ça en vrac, à la criée, dans l’espace et dans le temps, le sexe malheureux, aliéné, réprimé, vendu, acheté, mutilé. Pratique utopique pour changer le monde possible. Nature, culture, contre-culture, signifié/signifiant, caractères/valeurs. Dans l’espace et dans le temps la vie de tous les jours et le sacré.
Voilà cher Allen, ce que je crois pouvoir dire de ton Œuvre. (..)
Claude PÉLIEU
(Revue Les Hommes sans Epaules).
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Auteur d’une œuvre importante, dont : Reality Sandwiches (1963), The Yage Letters (1963), The Gates of Wrath (1972), Indian Journals (1974), Mind Breaths (1978), Plutonian Ode (1982), Collected Poems 1947-1980 (1982), Withe Shroud Poems (1986), Cosmopolitan Greetings (1996), Selected Poems 1947-1995 (1996), Death & Fame, Poems 1993-1997 (1999), Allen Ginsberg (1926-1997) aura pleinement associé sa destinée et son inspiration artistique à l‘histoire de son temps, et cela, au mépris des frontières des nations, des interdictions des gouvernants et de l’image quasi-érémitique que la tradition occidentale assigne volontiers au poète.
Porte-parole et figure de proue de la Beat Generation, l’œuvre de Ginsberg est une protestation contre la fadeur, le conformisme et le manque d’objectifs sur les plans sociaux et culturels de la vie dans la société capitaliste (il dénoncera aussi le stalinisme, et tous les systèmes totalitaires, en se faisant même expulser de Prague et de La Havane) : « La majorité des hommes vivent des existences de calme désespoir… L’homme n’est libre que lorsqu’il est libre de toute contrainte, externe ou interne, physique ou morale, lorsqu’il n'est contraint ni par la loi, ni par la nécessité ».
Ginsberg refuse l’avenir avec retraite garantie, au profit de la liberté ; de la recherche d’un destin spirituel et non matériel. Il se révolte contre l’univers des robots : L’État policier – militaire – hommes de mains – IBM. L’éthique d’Allen est avant tout, une aspiration inexorable à la liberté totale.
Chez lui, la poésie infiltre l’écrit, le langage, et ne reste pas enfermée dans le livre, mais au contraire, envahit la rue, la vie immédiate, en se proposant comme une rencontre humaine et existentielle avec ses semblables. Si la langue de Ginsberg peut paraître crue, féroce, et nue, cela découle du fait que la réalité que le poète affronte est dure et violente et qu’elle ne saurait être communiquée par d’autres moyens.
Ginsberg s’insurge contre cette Amérique matérialiste, nationaliste, et prône l’ouverture vers d’autres cultures riches en spiritualité, afin de permettre à l’homme de retrouver sa dimension mystique. Le poète d’Amérique est décédé d’une crise cardiaque et des suites d’un cancer du foie, le samedi 5 avril 1997.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules).
Les œuvres d’Allen Ginsberg, traduites en français, ont paru - à l’exception de La Chute de l’Amérique (Flammarion, 1979), Iron horse (Le Livre à Venir/Solin, 1985), Lettres choisies 1943-1997 (Gallimard, 2013), Correspondance 1944-196 avec Jack Kerouac (Gallimard, 2014) - chez Christian Bourgois, dont : Cosmopolitan greetings / Poèmes 1986-1992, Howl, Journal 1952-1962, Journaux indiens, Kaddish, Le linceul blanc, Mind breath / Plutonian Ode, Poèmes.
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : LES POETES DANS LA GUERRE n° 15 | Dossier : Claude PELIEU & la Beat generation n° 42 |